Contours d’un jour qui vient – Léonora Miano CategoriesMa Pause Littéraire · Revues

Contours d’un jour qui vient – Léonora Miano

J’ai découvert Léonora Miano par un de ses romans, “Ces âmes chagrines“, offert par un ami. J’ai également vu cet extrait d’elle, sur les réseaux sociaux. J’ai été interpellée par son calme et son discours très pertinent.  J’ai poursuivi avec Contours d’un jour qui vient, prix Goncourt des lycéens en 2006. Un roman éblouissant ! Léonora livre une analyse psychologique, philosophique et sociale fine du Mboasu, pays pas si imaginaire que ça puisqu’il se rapproche assez du Cameroun (pour moi), et peut-être d’autres pays d’Afrique. Le roman m’a fait penser à certains moments à l’Alchimiste de Paulo Coelho dans la mesure où il pousse à s’interroger sur soi en tant qu’africain. L’histoire se situe au Mboasu, dans un cadre assez apocalyptique. C’est une enfant, Musango, qui en est le personnage principal et c’est au travers

de ses sens que j’ai exploré les thèmes abordés : la famille, les églises dites réveillées et l’ampleur de leur emprise sur la société, l’estime de soi, le pardon. Les livres ont un réel pouvoir, celui de permettre de prendre la hauteur et le recul nécessaires à l’introspection. En lisant ce livre, j’ai eu l’impression d’avoir sous les yeux une maquette du Cameroun en miniature, et de découvrir une analyse de ce système, les interactions humaines et les valeurs sous-jacentes. L’enfance de Musango a été volée, mais à contre-courant du fatalisme et de la misère matérielle et spirituelle ambiants, elle interpelle par sa maturité et sa volonté de vivre. Elle se refuse à vivre une vie qu’elle n’a pas pensée et ces rayonnements permanents de conscience de soi transpercent l’obscurité pour entr’apercevoir les contours du jour qui vient.

Mes phrases-bijoux

“Il est légitime de croire à ce qu’on ne voit pas, et dont on sent pourtant les manifestations, comme le vent qui soulève la poussière et fait pencher les roseaux sur les rives de la Tubè.[…]Ce qui est incompréhensible, c’est la raison pour laquelle notre croyance se laisse si volontiers couler vers les abysses les plus ténébreux. Nous n’aimons rien autant qu’ éteindre toutes les lumières, afin de ne laisser brûler que les brasiers qui nous consument de notre vivant, faisant du lendemain une impossibilité.”

“Poser des questions, cela implique de prendre sur soi la charge des réponses. Après, on ne peut plus faire comme si on ne savait pas. Or, par les temps qui couraient, nul n’avait les moyens d’une telle politique.”

Il y a également une section sur les traductions de certains mots en francanglais (argot Camerounais) comme :

  • Mouf, déformation de l’anglais move. “Mouf dé“, déformation de “move there”.
  • Carabote, déformation de cardboard pour désigner un habitat pauvre et précaire en contreplaqué et non en carton.

“Elles seraient à jamais des ombres, pour n’avoir pu se résoudre à faire un choix entre la vie et la mort. Toujours cette ambivalence, cette incapacité à se déterminer. Toujours cette hésitation, ce doute, qui donne aux événements de se conduire eux-mêmes quand la volonté des hommes devrait tenter sa chance.”

“Mon mutisme en cette terre d’oralité criait ma non-appartenance au genre humain. Je ne leur ai pas demandé à quoi il servait de parler pour ne rien dire. C’est ce que nous faisions ici. Nous ne disons que la surface des choses qui n’est jamais la vérité.”

“Ils disent que c’est notre culture, cette soumission à l’immédiateté, cet abandon au besoin primaire.”

“Le corps affamé conduit rarement l’esprit sur les voies de la transcendance. Bien souvent, il s’arrête au délire. Peu importe, du moment qu’on prétend avoir vu quelque chose. Celui qui a eu une vision gagne le respect des autres et une place de choix dans la congrégation.”

“Cette femme devait jalouser sa fille jeune et belle, sur laquelle le regard concupiscent de son mari se posait, plus souvent que sur elle. Comme toi, elle s’est crue l’ombre d’un homme plutôt que sa compagne, greffant sur sa pauvre réussite matérielle une vie de parasite. Les sangsues ne peuvent aimer leurs enfants.”

“Les gens d’ici sont comme cela parce qu’ils ne savent rien d’intime sur eux-mêmes, parce qu’ils traînent une vie qu’ils n’ont jamais pensée. On leur a seulement dit qu’ils l’avaient reçue et qu’ils devaient la garder. Certains la traînent comme un boulet, d’autres l’endurent comme une longue et incurable maladie.”

“Les hommes de ce pays n’aiment que les femmes qui ne veulent pas d’eux. Ils veulent tout donner à celles qui les dédaignent. Les autres les effraient avec leur amour et les multiples exigences qu’ils pressentent dans leurs regards, dans leurs attentes silencieuses, dans les larmes qu’elles versent en secret et qui laissent sur le quotidien la marque visible de l’inassouvi. […]Ils ne sont pas faits pour les grandes amoureuses, mais pour les réalistes qui savent qu’il leur faudra toujours compter avec ces hommes et jamais sur eux.”

“Si notre peuple peut produire des individualités assez audacieuses pour affronter ses errances et ses lâchetés, il lui reste une chance de prétendre à la grandeur. […] Et après qu’ils auront dit combien l’Afrique vaut mieux que ce qu’elle pense d’elle-même, des légions leur emboîteront le pas.”

“Elle vit entre ses prières et son questionnement. La prière ne semble d’aucun secours pour abolir ce qui la ronge, parce qu’elle cherche la solution en dehors d’elle même. Comme tous ceux qui fréquentent les églises dites d’éveil, elle est persuadée que Dieu est en dehors, et pas au fond de nous.”

“Ce qui vit n’est pas seulement ce qu’on peut voir. C’est tout ce qu’on conserve. Tout ce qu’on chérit. Tout ce qu’on se rappelle. Tout ce qui s’en est allé, mais qu’on peut convoquer à l’envi, pour se régénérer.”

Credits photo : rfi
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Bookworm et grande optimiste de l’Afrique et de la vie. Contributrice sur www.africanarteverywhere.com. Auteure du Petit Mémo du Primo-Accédant : bit.ly/LePetitMemoPrimoAccedant. #Art #Danse #Ecriture #AfricaEmpowerment

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