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Le vieux nègre et la médaille

Peinture d’une période post-coloniale à travers les aventures d’un « homme-ciel ».

En ouvrant ce livre et dès la première phrase, on se retrouve tout de suite 100 ans en arrière, dans un petit village (qu’on devine du Cameroun – pays de l’auteur). Ferdinand OYONO par le pouvoir  de ses mots, de ses phrases ironiquement crues, de ce langage à la fois familier et soutenu, qui tout de suite nous transporte, peint et dépeint le village de Doum, ses environs et ses habitants. Le voyage commence doucement chez Meka, un « vieux nègre », qui vit simplement et paisiblement sa vie de retraité. Cet homme considéré comme un modèle par ses confrères, est le portrait de l’homme sage africain. Sa vie jusque-là monotone et paisible va connaître un tournant qui se présentera sous la forme d’une médaille, la promesse d’une amitié.

En effet, Meka dont le dévouement pour l’administration coloniale a été exemplaire, s’en verra récompensé. Cette récompense, très attendue par Meka mais aussi (voire plus) par ses proches, fera naître chez les uns comme les autres l’espoir d’une nouvelle ère « post-coloniale ».  Mais comme « le chimpanzé n’est pas le frère du gorille », le contraste entre les blancs et les noirs est loin de s’atténuer d’un coup (pour ne pas dire d’une épingle) de médaille. C’est ainsi qu’avec sagesse, nous est présenté ce tableau qui séduira tous ceux qui veulent voyager dans le temps l’espace de 192 pages, et découvrir la vie de villageois apprenant à vivre avec cette présence étrangère.

Mon feeling.

Ce qui m’a incité à lire ce livre c’est avant tout mes souvenirs d’enfance. L’ histoire de Meka m’avait été contée quand j’étais plus jeune et son auteur fait partie des plus connus de l’Afrique centrale. Malheureusement, mes souvenirs me jouant des tours, ma volonté de me faire ma propre opinion de ce classique de la littérature camerounaise me poussa à acheter ce livre.

Le titre à lui seul nous donne déjà la température du livre. Ferdinand OYONO, a cette réputation d’auteur n’ayant pas peur des mots et encore moins de la réaction que peuvent provoquer ces derniers. J’entame donc mon séjour littéraire chez Meka, la chaleur me réveille avec lui et je me surprends à vouloir imiter ses gestes ou les deviner. Car oui, j’ai voyagé et je fais escale dans sa case où j’ai décidé de m’inviter. Au fil des paragraphes, j’apprends à le connaitre lui et sa femme Kelara. Le voyage est dépaysant. En effet, je suis ramenée plus de cent ans en arrière mais en même temps j’ai l’impression de connaitre ces villageois, les contours et détails de leurs cases me sont familiers et leurs mots sont des refrains que je connais par cœur.

Meka est un homme sage et dévoué ; dévoué à l’administration coloniale à qui il a tout donné ou presque. Et, enfin, cet homme dont la foi est exemplaire (il le dit et ses concitoyens le lui concèdent), verra en cette médaille qui lui sera accordée une récompense de tant d’années de sacrifices et d’espoirs. Car Meka espère, il espère redorer le blason de sa famille, de son nom, de la lignée des « homme-ciel » dont il descend. Cette médaille se présente à ses yeux comme un couronnement. Les rêves et les désirs de ses proches (et moins proches) brillent dans ses yeux et ceux de tout un peuple. Et c’est avec délectation que je trouve mon chemin dans la mentalité africaine qui veut que ‘ce qui est à mon frère est aussi à moi’. Je me tords les cotes quand je découvre les attentes de certains, je jubile (sans crier ou me rouler au sol) aussi car je me dis que Meka a « percé ». Mais comme Meka j’appréhende néanmoins la suite des événements et je ne peux m’empêcher de dévorer les pages jusqu’à la dernière. Mon voyage s’arrête à contrecœur car même s’il a été plaisant, relaxant, il me laisse un petit vide, un léger goût de kola. Je ne dirais pas que je suis sur ma faim, mais j’ai l’impression qu’un deuxième volet m’attend. Peut-être que j’en demande trop, ou comme toute bonne chose je ne voudrais pas que ça finisse (encore moins que ça finisse autrement que ce que j’avais espéré). Mais c’est peut-être là aussi la force de Mr OYONO, il sait nous prendre de court, et laisse en nous un vide, qui nous revient de combler.

Alors, pour tous ceux qui veulent voyager dans le temps et dans l’espace le temps d’une centaine de pages, découvrir et partager le quotidien de quelques « villageois », ce livre est fait pour vous. Nombreux sont les romans peignant la période post-coloniale, celui-ci a la particularité d’être à la fois simple et poignant, complexe lexicalement et riche intellectuellement. Pour les natifs camerounais, africains, les expressions, proverbes rajouteront du piment à ce voyage qui promet d’être rapide et surtout surprenant. Alors à vos livres.

Et quelques mots pour la route

  • Poto-poto
  • Coupe-coupe
  • Bila
  • Grippe-sou

” La bouche qui a tété n’oublie pas la saveur du lait.”

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Passionnée de dessins, mode, lecture, voyages. Bref là ou il y a des couleurs elle n’est jamais loin.

2 comments

  1. Bravo! Je retrouve dans cet exposé le résumé de cette oeuvre célèbre dont j’ai eu plaisir a lire la version anglaise qui est un fervent hommage de la version française.

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