Homegoing*
Homegoing (No Home)
By Yaa Gyasi
Remonter le temps, voir l’impact de l’esclavage sur plusieurs générations, voilà ce que j’espérais en lisant le résumé de la quatrième de couverture. Ces jours-ci, je suis un peu à l’affût de romans me contant une partie de mon histoire, de l’histoire de l’Afrique. Cette quête d’identité est aussi celle menée par Yaa Gyasi depuis son séjour au Ghana en 2009 (elle a quitté le Ghana à l’âge de 2 ans et vit depuis aux Etats-Unis), séjour qui la poussa à écrire ce livre. Elle espérait à travers ce livre, montrer l’impact de l’esclavage sur toute une descendance, comme un refrain sans fin:
“legacy of slavery”
“cyclic trauma”
“history continue to rime”
“If you don’t deal with a thing as it happens, it continue to happen.”“Quand quelqu’un fait le mal, que ce soit toi ou moi, que ce soit la mère ou le père, que ce soit l’homme de la Côte-de-l’Or ou l’homme blanc, il est comme le pêcheur qui jette son filet dans l’eau. Il ne garde qu’un ou deux poissons dont il a besoin pour se nourrir et rejette les autres à l’eau, pensant que leur vie redeviendra normale. Personne n’oublie qu’il a été autrefois prisonnier, même s’il est à présent libre. “
Je ne connaissais pas l’auteure et encore moins le livre. Ce livre m’attira d’abord par sa couverture – une femme au milieu de ce qui semblait être des champs de coton, plus précisément au milieu de deux “rangées” de coton. La chaîne au cou et ses bras derrière (on devine qu’elle est menottée), elle est debout, fière, forte. Maama, l’esclave Ashanti, la femme feu (on comprend le choix des couleurs: orange et rouge); c’est celle par qui tout a commencé. Les deux lignées de coton de part et d’autre d’elle, Effia et Esi, symbolisent les filles de Maama. Ces branches, s’étendant sur deux continents, l’Afrique et l’Amérique, ont deux destins opposés. L’une sera une lignée de “Grands Hommes” en Afrique et l’autre d’esclaves en Amérique.
Yaa Gyasi nous conte l’histoire de ces branches et de leurs fruits et c’est ainsi que plus de 250 ans d’histoire prennent forme au travers de cette descendance, de ces personnages. On ouvre, un album de famille, on écoute le chef de famille nous parler de chaque nouveau visage, le décor autour de nous change et on est tout de suite transporté. Chaque membre nous touche d’une façon ou d’une autre, certains plus que d’autres. On vit des grands moments d’histoire (commerce triangulaire, guerre entre Fantis et Ashantis, les champs de coton, les mines, ségrégation, émeutes d’Harlem jusqu’à nos jours) au travers de leurs vies. On s’attache, et on en redemande plus. Comme des enfants qui n’ont pas connu leurs parents, à qui on raconte leur histoire, on veut tout savoir. Ce roman, comme un conte familial, ne s’oublie pas et marque à jamais. C’est un MUST.
Le verbe utilisé est doux quand il présente les personnages, on réussit à les visualiser car Yaa Gyasi a réussi à leur donner vie à travers les mots.
“Il était grand avec une peau couleur de noyau d’avocat.”
“peau couleur chair de noix de coco”
“avec des dents brillantes qui se détachaient sur la nuit noire de sa peau”
Les descriptions des scènes sont “vivantes”, les mots crus, francs, directs et le lecteur tout de suite se projette et est happé par l’histoire.
“Mon mari me regardait comme si j’étais de l’eau et qu’il était du feu et chaque soir il fallait éteindre l’incendie.”
“L’enfer était peuplé de souvenirs, chaque bon moment traversait l’imagination avant de retomber sur le sol comme une mangue pourrie, parfaitement inutile, inutilement parfaite.”
Mais les messages sont clairs; ce conte familial, n’est pas juste une série d’anecdotes, il se veut aussi historique (on devine le travail de recherche de l’auteure qui passa plus de quatre ans à le rédiger). Il ne dénonce pas, il ne prend pas parti. Le rôle des différents protagonistes nous est présenté, comme celui de l’Afrique dans la traite des esclaves (rôle souvent balayé d’un revers de la main par certains africains) avec un imaginaire qui prend vie. Les thèmes abordés sont d’actualité, allant des traditions africaines à la religion en passant par l’éducation.
“Elle avait entendu les anglais les appeler “filles”, pas épouses. “Épouse” était un mot réservé aux femmes blanches de l’autre côté de l’Atlantique. “Fille” était quelque chose de totalement différent, un mot que les soldats utilisaient pour garder les mains propres et ne pas avoir d’ennuis avec leur dieu, un être qui lui-même était composé de trois parties mais n’autorisait les hommes à n’épouser qu’une seule femme.”
“Le pardon était un acte qui intervenait après les faits, un avenir pour la mauvaise action à venir. Et si vous poussez les gens à porter le regard vers l’avenir, ils ne voient peut-être pas le tort qui leur est fait dans le présent.”
“Nous croyons celui qui a le pouvoir. C’ est à lui qu’incombe d’écrire l’histoire.”
Ah l’histoire du chasseur… Et si le lion devait raconter cette histoire? L’histoire est un récit. Mais quelle histoire croire lorsqu’il y en a plusieurs contradictoires? L’importance d’écouter toutes les voix d’une histoire, tous les personnages nous est ici rappelé par Yaa Gyasi.
“Quel est celui dont je ne connais pas l’histoire? Quelle voix n’a pas pu s’exprimer?”
Et c’est un peu ce que fait Yaa Gyasi au travers de ce roman, comme un recueil des paroles de ceux qui n’ont pas de voix dans une autre histoire, où ils ont été traités, peints comme un décor. Oui, il est temps d’écrire et de raconter notre propre histoire. Comme ces artistes peintres qui modifient, redonnent une nouvelle face à des tableaux en mettant en avant des personnages (généralement noirs) qui avaient été peints comme des invisibles.
* Homegoing est le titre original du roman, l’éditeur français a choisit ‘No home’ comme titre. Les deux titres se valent mais je préfère l’original. Il évoque cette croyance afro-américaine (et même africaine) selon laquelle l’esprit d’une personne, une fois morte, retourne en Afrique. Ce retour en terre natale, terre des ancêtres comme dernière demeure, on le vivra au travers des derniers personnages du roman. Ce livre qui commença par une séparation d’E & E se terminera par la rencontre de M & M. Les vies sont unies par les liens du sang, “home is where your loved ones are” et les esprits par la terre des ancêtres.
“Home is this big family that they have, even though they don’t know it. Home is not a place.”
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